Tuesday, November 06, 2007

La mort de l'aventurier

Celui qui servit de prétexte au premier livre que j'ai écrit est décédé.
Un SMS discret d'un ami, puis un coup de téléphone résigné de sa fille. Elle ne voulait pas que je l'apprenne par la presse. La cérémonie aurait lieu le vendredi. Elle allait bien, dans l'action on n'a pas le temps de se pencher sur soi, et il y a tant à faire : la famille, les obsèques, la presse.
Il est vertigineux d'assister à la scène qu'on avait imaginée plusieurs années auparavant. J'avais écrit à propos d'un mercenaire à l'origine des grands fantasmes d'aventure d'un jeune narrateur, qui ne le rencontrerait qu'au jour de son enterrement. C'est ainsi que les choses furent faites : le héros de roman avait une vie civile ; le mercenaire une vie réelle. Il y fut question, un jour, de mourir. Nos vies ne se croisèrent pas. Elles se superposèrent en quelque sorte, car je tiens K., la fille de l'aventurier, pour ce qui se fait des amitiés les plus proches.
J'ai donc assisté à cet instant suspendu où une âme dans la maison de Dieu rejoint son initial royaume. Ce n'est pas tant la symbolique chrétienne qui m'a marqué, d'ailleurs. Insensible à une foi mystique, j'ai surtout vu les hommes qui étaient venus entourer une dernière fois leur chef de guerre. Des types qui avaient vu d'autres types braquer sur eux des armes sans équivoque, mais qui avaient eu la chance de tirer les premiers. Il devait quand même en rester quelque chose, et je scrutai en silence les regards aigus, les visages tendus, les sourires vite éteints, nuques empesées. Quand un prêtre qui fit plutôt mal son boulot céda la place à un fils qui remplit son rôle dans un respect poignant, ces types, je les vis pleurer. Ce qu'ils laissaient là, devant eux, et déjà derrière, c'était une vie, un symbole, la fin d'une époque, la leur. Voilà, c'était fini. Puisque lui était mort, c'est qu'on avait vécu.
Dehors un corbillard attendait, portant bientôt le corps vers puis dans la terre qui le vit naître. Quelques photographes aussi, dont le faible nombre attisait l'indécence. Une famille, nombreuse et éparse, mais solidaire et solide. Les militaires cravatés de vert siglé d'un signe que je devine militaire mais dont j'ignore le sens exact se groupèrent en haie d'honneur, puis autour de la voiture. Ils chantèrent, presque inaudibles, un dernier hommage. Leurs voix s'embuèrent. C'est vrai qu'il faisait un froid de défaite. Sous les chants de ses compagnons d'arme un personnage rejoignit un homme, et c'est un homme qui s'en fut.

1 comment:

laurie thin** said...

j'aime bien les nuques empesées et les voix qui s'embuent, on entre fugacement dans différentes intimités l'espace de deux mots