Monday, November 26, 2007

nuque 'em all

Un nouveau post chez Yves Remords.

"une mèche sur une nuque, c’est quand même beaucoup plus émouvant qu’une paire de seins. quand je le lui dis elle ne me croit pas, me traite de faux jeton. et pourtant.
c'est tellement délicat. c'est tellement sensuel. ta mèche, elle bouleverse mes sens, le bide en champ de bataille. ses reflets noirs trahissent la grâce, il faudra bien que tu t'y fasses. cette mèche là-bas érige des trucs ici bas. fais pas l'innocente.
il y a cette mèche qui perle sur ta joue à la naissance du cou. par pitié ne fais pas attention à moi. continue à regarder celui à qui tu parles. pendant ce temps, moi, je peux contempler ta mèche, ta joue, ton cou. lui, pas. j'engloutis ce privilège avec une suavité féroce, la babine salive. quelque chose de violent hurle "à moi". tectonique dévastatrice de la fragilité.
et puis je sens cette petite bulle acidulée qui monte dans ma gorge, se coince, et gargouille. dans ma tête tout vibre et pétille quand j'aperçois ta jolie mèche. elle est là pour moi.
le vrai plaisir, c'est de vouloir tendre la main, pincer tes cheveux entre mes doigts et les lover derrière ton oreille. le vrai plaisir, c'est d'avoir envie de frôler la peau de ta joue à la naissance du cou, là où ça frissonne, tandis que je roule la mèche à ton oreille. le vrai plaisir, c'est de regarder ton profil et les cheveux qui lèchent ta joue. et ne rien faire.
je voudrais tant que tu ne la sentes pas quand elle boucle sur ta nuque et l'effleure. cette petite caresse ne te dérange pas, je voudrais qu'elle te détende sans que tu t'en aperçoives jamais. tu lui dois beaucoup et tu ne le sauras pas. je lui dois beaucoup aussi mais moi je le sais. tes cheveux et moi sommes complices.
toute la vulgarité du monde s'efface. une simple mèche et tout s'apaise. tout est délicatesse. une mèche, je n'en demande pas plus pour retrouver le goût des choses. tout peut se broyer, s'effondrer, s'affronter, perdre ou gagner, tout peut lutter, vindictes assassines et cynismes justiciers, l'horreur acide ou la banalité crasseuse, le bien, le mal, les imbéciles et les crétins, moi j'ai vu glisser de ta joue vers ton cou toute la beauté du monde."

A part ça, je lis Monsieur, de Jacques Chessex, eh bien quelle claque mes amis.

Wednesday, November 14, 2007

La vie est ainsi fête, Gérard Oberlé


Avec Quignard, Chessex et quelques autres, Oberlé fait partie des écrivains que j'achète systématiquement, à la rentrée. Je l'ai découvert grâce à la newsletter de Lire, où sa chronique épistolaire à sa filleule Emilie sort du lot. La photo qui l'accompagne, un crâne rasé, regard haut, bravant la fumée chère d'un cigare, me fait plus marrer que les lunettes de travers de Beigbeder : au moins le personnage assume quelque chose. Le style d'Oberlé goulaye, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est rond, baroque, un mélange de propos très directs et de tournures volutées. Une déférence surannée, respectueuse de ses lecteurs, pour mieux ne s'encombrer d'aucun détour. Oberlé roule en calèche sur l'autoroute. Ca sent la vie marinée dans la chair. Le résultat sonne.
Dans Itinéraire spiritueux, son précédent ouvrage, il s'en donnait à coeur joie : la nourriture et le vin offrent un champ lexical parfait pour ce type d'écriture. Il est plus que jamais question de mots de bouche, et la ripaille façon Oberlé se savoure sauce grand veneur. J'avais feuilleté un roman, pour voir. Les premières phrases ne m'avaient pas convaincu, mais je n'ai pas jeté l'éponge pour autant : la rentrée 2007 allait m'offrir un nouveau texte. Dont acte : La vie est ainsi fête.
Las ! Ca flaire vite l'arnaque. La photo de couv exploite sournoisement le crâne chauve et le cigare, ça commence à faire marketing, ça ne ressemble plus à la fronde indépendante de l'auteur. Une page suffit pour comprendre que le texte n'est en fait qu'un recueil de chroniques écrites depuis longtemps pour une émission de radio musicale, des historiettes sur les musiciens oubliés, méconnus, le lot commun des petits soldats oubliés du Panthéon musical. Une belle idée, mais le texte n'est pas original. Une compil, en somme. Déçu, je suis déçu.
Le livre traîne sur ma table de nuit. Une chronique par-ci, par là, avant d'éteindre, ça ne coûte rien. Et puis peu à peu la magie opère. Chaque chronique trace une vie, et la vie narrée par Oberlé est un régal. Une perle humaine, agaçante mais vive, émergée des limbes du temps qui passe. Il y est question de poisse, des riens qui flanquent un destin par terre quand tout semblait écrit, il y est question des petites histoires qui font la grande. Il y est question de nous. Nous qui ne sommes pas Mozart ni Beethoven, quelqu'un comme Oberlé nous écoute pourtant. Avec une distance amusée qui n'est qu'affection, compassion, amour finalement. Oberlé est des nôtres, grâce à lui chaque musicien entre dans l'Histoire, et au-delà, chaque être humain aussi. Merci à lui.

Tuesday, November 06, 2007

La mort de l'aventurier

Celui qui servit de prétexte au premier livre que j'ai écrit est décédé.
Un SMS discret d'un ami, puis un coup de téléphone résigné de sa fille. Elle ne voulait pas que je l'apprenne par la presse. La cérémonie aurait lieu le vendredi. Elle allait bien, dans l'action on n'a pas le temps de se pencher sur soi, et il y a tant à faire : la famille, les obsèques, la presse.
Il est vertigineux d'assister à la scène qu'on avait imaginée plusieurs années auparavant. J'avais écrit à propos d'un mercenaire à l'origine des grands fantasmes d'aventure d'un jeune narrateur, qui ne le rencontrerait qu'au jour de son enterrement. C'est ainsi que les choses furent faites : le héros de roman avait une vie civile ; le mercenaire une vie réelle. Il y fut question, un jour, de mourir. Nos vies ne se croisèrent pas. Elles se superposèrent en quelque sorte, car je tiens K., la fille de l'aventurier, pour ce qui se fait des amitiés les plus proches.
J'ai donc assisté à cet instant suspendu où une âme dans la maison de Dieu rejoint son initial royaume. Ce n'est pas tant la symbolique chrétienne qui m'a marqué, d'ailleurs. Insensible à une foi mystique, j'ai surtout vu les hommes qui étaient venus entourer une dernière fois leur chef de guerre. Des types qui avaient vu d'autres types braquer sur eux des armes sans équivoque, mais qui avaient eu la chance de tirer les premiers. Il devait quand même en rester quelque chose, et je scrutai en silence les regards aigus, les visages tendus, les sourires vite éteints, nuques empesées. Quand un prêtre qui fit plutôt mal son boulot céda la place à un fils qui remplit son rôle dans un respect poignant, ces types, je les vis pleurer. Ce qu'ils laissaient là, devant eux, et déjà derrière, c'était une vie, un symbole, la fin d'une époque, la leur. Voilà, c'était fini. Puisque lui était mort, c'est qu'on avait vécu.
Dehors un corbillard attendait, portant bientôt le corps vers puis dans la terre qui le vit naître. Quelques photographes aussi, dont le faible nombre attisait l'indécence. Une famille, nombreuse et éparse, mais solidaire et solide. Les militaires cravatés de vert siglé d'un signe que je devine militaire mais dont j'ignore le sens exact se groupèrent en haie d'honneur, puis autour de la voiture. Ils chantèrent, presque inaudibles, un dernier hommage. Leurs voix s'embuèrent. C'est vrai qu'il faisait un froid de défaite. Sous les chants de ses compagnons d'arme un personnage rejoignit un homme, et c'est un homme qui s'en fut.