La séparation est cruelle, quand on arrive à la fin d'un livre. J'ai terminé le Journal d'un lecteur, d'Alberto Manguel, hier, dans le train qui me conduisait de Saint-Lazare à Colombes.
Cela faisait quelques semaines que je le lisais. Par bribes, peu de pages à la fois, et le plus souvent dans les transports en commun. Je ne les prends pas souvent, ma lecture avançait peu. Et puis, il est question dans ce journal de livres que je n'ai pas lus, j'étais du coup un peu réticent à en achever la lecture. Ca ne me parlait pas plus que ça.
Mais Manguel est homme intelligent. Sa plume est riche sans ostentation, ce qui est la plus grande qualité chez un écrivain, de mon point de vue. Avancer avec lui de mois en mois et de livre en livre, retrouver avec lui une actualité jeune (son journal est parallèle au déclenchement de la seconde guerre du Golfe), partager l'écho de ses lectures sur son quotidien, témoigner ainsi du pudique amour, mais amour quand même, pour les titres choisis, et enfin réussir à m'intéresser à un livre de Goethe, voici qui a insidieusement créé entre Alberto et moi une connivence aux reflets amicaux. Oui, c'est un rapport très proche de l'amitié qui s'est noué entre les deux lecteurs. Je retrouvais Alberto dans l'intimité de ses lectures parce qu'il m'y accueillait chaleureusement, en toute affection et en pleine confiance. Il m'invitait chez lui, dans cette maison du sud de la France qu'il apprécie tant. Ou bien il m'envoyait des cartes postales des différents pays où il était invité pour des conférences qui nourrissaient le nécessaire regret de quitter, pour un temps, sa bibliothèque. Vraiment, je me suis senti chez lui comme en vacances, protégé de la pluie fine, goûtant silencieusement le soleil, bercé du murmure des pages dans la cuisine appaisée, encore le meilleur endroit pour lire. Aberto et moi sommes devenus amis et, je le cite citant Machado de Assis, Borgès et Descartes : "la page de titre d'un livre devrait comporter les deux noms de l'auteur et du lecteur, puisque tous deux en partagent la paternité." J'y vois davantage les noms gravés sur un arbre par deux jeunes camarades qui ne se quitteront plus, d'autant moins si la distance les sépare, mais l'idée reste la même. Alberto écrit des choses simples qui me font réflechir sur mon travail. Il est une oreille attentive et compréhensive. Grâce à lui j'ai désormais envie de lire Machado, mais aussi Sei Shônagon et Margaret Atwood.
J'ai annoté quelques pages (136, 146, 164, 173, 185), en ai lues à Franck ou à Julie comme on rapporte le trait d'humour ou de génie d'un copain avec qui l'on vient de passer un bon moment. J'aime beaucoup parler de mes amis. Mais voilà : le livre est désormais terminé. Je sais que j'y reviendrai, et que je lirai Alberto ailleurs encore. Je nous prépare de belles heures fraternelles. Le moment de la dernière page, de la dernière ligne, celui-ci est triste. C'est une sensation physique douloureuse qui fait monter des sanglots éteints.
Sunday, October 22, 2006
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