Tuesday, December 26, 2006

Le ventre de K.

Je connais K. par des voies qui auraient dû placer nos rapports sur le plan strict de la cordialité, excluant tout affect. Mais nous avions des points communs comme le cinéma, la littérature, et la fascination pour l'acte créatif. Et en adultes dignes de ce nom, K. et moi avons pris acte des barrières qui devaient théoriquement nous opposer comme d'une mouche au dessus de nos têtes.
Aujourd'hui K. est enceinte. Je ne l'avais pas vue depuis de nombreux mois et, si j'avais eu vent de son état, je n'avais pas cherché à en parler avant elle. Nous ne sommes pas assez proches pour que j'ai pu m'offusquer de son silence, loin s'en faut. Une fête de fin d'année nous a réunis, et son ventre est bien rond. Elle ne le cache pas. Elle reste discrète sur le sujet. Moi, je n'ai pas pu m'empêcher de féliciter cette jeune femme en pleine création. Voici sa réaction.
En soi je trouve très beau ce texte volé à un e-mail, parce que très simple et gorgé de raccourcis qui en disent long sur la qualité de celle qui les a pris. Je trouve les mots de K. d'une maturité assourdissante sur ce que signifie "attendre un enfant". J'y puise une belle matière. Enfin il y a quand même quelques phrases qui font jaillir ce petit bouillon dans la gorge, quand un texte est juste et touchant.
PS. K. est d'origine étrangère, d'où ces charmants dérapages dans le texte. Je les ai laissés tels quels, je sais qu'elle ne m'en tiendra pas rigueur. Ce n'est pas que K. se contre fiche des lacunes sans importance que son origine entraîne, au contraire : elle les assume pleinement.

"Merci pour tous les compliments au sujet de ma grossesse. J’essaie quand même de ne pas faire de ça un sujet de conversation mais c’est parfois difficile de l'éviter. Je ne voudrais pas généraliser, mais après sept mois plongée dans cette histoire, il me semble que les gens aiment parler de ça parce que quelque part ce que tu appelles “le projet” enlève toute différence existante, au moins on décide de le croire. Je pense à “Personne” de Bergman qui fait un point sur le sujet, parce qu’à mon avis la dépression de Marianne est du au fait qu’après avoir autant essayer de se différencier, la maternité l’a fait devenir n’importe qui. C’est pour quoi les gens me demandent partout des choses, ce qui n’était pas le cas avant, parce que sûrement ils pensaient que je n’avais rien à partager avec eux. Il faut dire que même mes voisins me disent bonjour depuis que mon ventre est devenu mon identité. Je me dis que peut-être je suis aussi devenue plus réceptive aux autres, moins renfermée. En tout cas, je suis un peu sur une nuage, inexplicable et au même temps un grand soulagement. C’est la première fois dans ma vie où je ne ressens pas la pression d’avoir à choisir, c’est comme si quelqu’un l’a fait déjà à ta place. Il ne me reste que de porter cette circonstance avec beaucoup de reconnaissance et de confiance."

Monday, December 25, 2006

Magie ou maléfice ?

Il s'agit d'une anecdote dans les pages people d'un site grand public. J. K. Rowling, la créatrice de Harry Potter, y déclare qu'elle a toutes les peines du monde à terminer l'écriture du dernier volet des aventures de son héros.
"J'ai très envie de terminer ce livre tout en n'y tenant pas.", dixit. Puis : "Je ne pense pas que l'on puisse imaginer ce que cela représente sans l'avoir vécu : exultation et frustration se succèdent sans répit. Je rédige en ce moment des scènes imaginées, pour certaines, il y a une douzaine d'années, voire davantage."
Ecrire enfin des scènes imaginées il y a longtemps, c'est les affronter. Ecrire une scène au moment même où on la pense est exaltant. Mais quand arrive le moment d'écrire ce qui a été pensé beaucoup plus tôt, quand vient le moment d'ouvrir son carnet de notes et d'y trouver les événements qui nous emmenaient si loin il y a quelques heures, quelques jours, "voire davantage", il y a une sorte de lutte, véritablement.
Une lutte pour retrouver l'enthousiasme, qui fait le plaisir d'écrire, et donc de lire. Pour ne pas abandonner une scène qui semble déjà moins importante au profit d'une autre qui nous vient, justement, à l'instant. Pour accepter de rompre avec un plaisir immmédiat afin de servir une oeuvre. Mais encore et surtout : pour se souvenir qu'une scène décalée dans le temps apporta son lot de bonheur, et plonger dans ce cocon qui la vit naître pour en retrouver l'essence. Oui, c'est une lutte difficile à imaginer, vraiment douloureuse parfois. Ecrire peut heurter physiquement. Nouer l'estomac. Alourdir réellement les épaules d'une charge éprouvante. Pour ma part, affronter a posteriori des scènes pensées plus tôt provoque souvent une sensation de dégoût, une regurgitation écoeurante, un travail scolaire répulsif. Il faut alors forcer son corps à reprendre le dessus.
Le plus admirable reste, quand on est aussi attendue que Mrs. Rowling, de l'avouer.

Sunday, December 10, 2006

Quel meilleur espace qu'une voiture pour écrire ?

Expérience intéressante ce week end. Entre Pornichet et Paris, dans une voiture. Rien à la radio, chaque occupant plongé dans ses pensées, le ronronnement du moteur et l'entrelacs hypnotique des feux blancs et rouges imprimés sur la nuit noire : pourquoi ne pas écrire ? Après tout, j'ai mon ordinateur portable et je ne conduis pas.
Après l'échec de ma dernière tentative il y a quelques jours, échec dû probablement à l'appel permanent d'un truc moins contraignant à faire, plus drôle ou au bénéfice plus immédiat (manger une cacahuète, embrasser Julie, lire mes mails, envoyer un sms...), voici probablement une occasion rêvée de me consacrer à mon texte pour un moment, sans craindre de me disperser. Bien sûr, même, quand on y pense : les yeux dans l'écran, l'obscurité partout, et surtout une plage considérable de temps libre, libre de tout, impossible de faire quoi que ce soit d'autre de productif, ou juste de divertissant : c'est dans cet ascétisme que je devrais travailler plus souvent. Et en effet, ça a payé. Le passage sur lequel je bloquais s'est délité après une poignée de minutes passées à y réflechir calmement. Du coup le texte a un peu dérapé vers ces digressions que j'apprécie ailleurs, et que je souhaite faire renaître dans mes livres. L'esprit a pris la route. Il s'est laissé porter par la nuit. Je ne suis pas mécontent du résultat et j'imagine déjà un bureau mobile idéal, chauffeur en livrée et les autoroutes de France pour toute inspiration. Qui plus est, rien de moins romantique qu'une autoroute, et je confirme ainsi que je ne peux écrire qu'en m'affranchissant du decorum qu'on prête à l'écrivain : pas de mer déchaînée, pas de montagne, pas de St-Germain-des-Près dans mon processus. Ascétisme.
A part ça, j'ai lu Terrasse à Rome entre deux lignes de L'Aveuglement, et m'est apparue l'hypothèse selon laquelle Pascal Quignard viserait dans l'écriture la même chose que Picasso en peinture quand ce dernier déclarait "J'ai passé ma vie à essayer de dessiner comme un enfant". Il y a souvent de l'enfantin chez Quignard. Pas du puéril. Un dépouillement ravissant. Le maître est l'enfant.

Monday, December 04, 2006

Aveugle comme les autres !

Toujours sur L'Aveuglement. Je reprends les transports en commun pour pouvoir lire enfin.
La première sensation face à Saramago fut un peu plate. Le cerveau est là, qui maîtrise style et discours. Du coup tout semble presque trop construit. C'est un peu froid, comme un livre de philo, j'en ai déjà parlé.
J'insiste. Je poursuis. Je me pose quand même la question de passer à autre chose, reprendre Les Bienveillantes, ou bien... Mon Dieu, j'avais même oublié que j'avais acheté Terrasse à Rome, de Quignard. Il faut vraiment que je me remette à lire convenablement. Les livres s'empilent que j'achète sans les lire, ou les lire à peine.
Après quelques pages me vient l'évidence de l'humour. Ca valait le coup d'insister, mais la véritable preuve que le texte marque sa route, c'est ce soir que je l'ai eue : le train de banlieue qui me conduisait de St Lazare aux Vallées. Bécon, dernier arrêt avant ma gare : une voix (la voix du conducteur) annonce que c'est le terminus, pour cause de perturbation le train ne poursuivra pas sa route, merci de quitter le train. Tout le monde sort, un peu ahuri, même pas énervé. C'est une gentille bousculade sur le quai : que faire ? Attendre le prochain ? Il ne va peut-être pas aux Vallées. Sortir et continuer à pied ? Prendre le bus ? un taxi ? La foule est spongieuse. J'ai alors la pleine sensation de faire de cette foule qui ne sait plus où aller. Aveugle au milieu des aveugles. Saramago m'a attrapé. Le roman est bon. Ca ressemble à un Haïku : le roman mal aimé / est soudain / le monde autour de moi. Ou un truc dans le genre.
A part ça, j'ai essayé d'écrire hier soir. La présence de Julie peut-être, ou l'envie de faire autre chose alors que je sens gonfler le désir de poursuivre le texte, bref : impossible d'aligner trois mots. La dernière fois que j'ai écrit une ligne remonte à quinze jours. A ce rythme, on n'est pas rendu.