Sunday, November 19, 2006

Le Oui des fils

Finalement j'ai commencé L'Aveuglement, de Jose Saramago. Je sais assez peu de choses de l'écrivain : portugais, prix nobel, entendu parler pour la première fois il y a seulement quelques mois. Dans la foule phénoménale des livres disponibles, je choisis de préférence ceux dont on me parle avec passion. Les amis, les non professionnels, tous ceux qui ne cherchent rien à vendre. Saramago m'est arrivé un matin de bureau autour d'un café, par un collègue qui est désormais un ami.
Ce qui me frappe d'emblée, à l'issue des 50 premières pages, c'est l'absence de noms. Aucun des personnages à ce stade n'a de nom. C'est "le médecin", "l'autre" ou "sa femme".
La question du nom en matière de roman est cruciale à mes yeux. C'est une réelle affirmation. Certains personnages sont des titres devenus légendaires, voir mieux : noms communs. Don Quichotte, Corto Maltese, Monte Cristo, Madame Bovary... Que de valeurs et de symboles enclavées dans ces quelques lettres (à l'inverse un mauvais nom fait un mauvais titre : Julien Parme). Si ce n'est pas un titre, il faut que ce soit crédible, que le nom corresponde au style, qu'il ne choque pas, ou alors qu'il choque volontairement. Je reconnais à Amélie Nothomb une réelle imagination : Pretexta Tach, ça assure. Je serai néanmoins davantage marqué, et à vie probablement, par l'héroïsme contenu dans le simple nom du Dr. Rieux.
Les noms de mes personnages me viennent d'un coup : c'est comme ça, je pense, qu'ils sonnent le plus naturellement. Ils ont parfois un impact insoupçonné : si une Suzanne se nomme Susan, une Anna Hannah, j'obtiens des retours positifs. Les prénoms s'écrivent autant qu'ils se prononcent, et leurs valeurs sont différentes.
Saramago : Pas de noms.
Du coup, il plonge son livre dans un autre bain. on n'est plus dans le crédible mais bien dans la fable philosophique, politique, globale : les personnages sont des pions sans nom, switchables au profit de la cause, et qu'on oubliera. Il s'agit peut-être d'un sacrifice : seule l'oeuvre parle et a un nom. Hors de question de venir obscurcir son rayonnement, d'en détourner le sens. Des soldats inconnus.
Et pourtant : comme toute philosophie, toute politique, c'est de l'homme qu'il s'agit surtout. Pas de nom chez Saramago, mais pas de déshumanisation non plus. Juste de vaillants symboles. Intéressant.

Tuesday, November 14, 2006

Le nom du père


Quelle surprise. Je feuilletais le recueil d'oeuvres de Michel Déon que m'a offert Elodie pour mon anniversaire. Ce qu'il y a de parfaitement intéressant dans ce livre, c'est d'une part d'y trouver enfin des textes illustrés publiés en de rares exemplaires, et d'autre part les dernières pages, une biographie succinte de l'auteur rédigée par sa fille Alice. Déon avait déjà partagé quelques souvenirs et réflexions avec elle dans "Parlons-en", sous la forme d'un dialogue. Ici il n'intervient plus.
J'ai déjà et souvent et beaucoup parlé de Déon. Il est l'écrivain qui m'a bouleversé le plus profondément, qui a renversé mes fondements pour en ériger d'autres. 17 ans et les Poneys Sauvages en poche, je n'étais plus le même. L'enfance venait de s'éteindre, libérant de son oeuf un adulte encore gluand, un adulte tout frais ébloui par la lumière de ce qui devenait possible. LE choc littéraire. J'ai tout lu, mis à part certains de ces fameux livres introuvables (mais j'en ai trouvé d'autres), je suis même allé jusqu'à rencontrer le vieil académicien chez lui, en Irlande, voyage initiatique inestimable. J'y repense : j'ai découvert Déon par Le Jeune homme vert, lors d'un séjour à Ballina. Nos histoires se recoupent avec beaucoup de sympathie. Je ne vois pas comme un hasard que sa date de naissance soit la même que celle de Julie.
Mais est-ce vraiment a date de naissance ? Alice Déon m'apprend, dans le premier paragraphe, que Michel Déon n'est pas Michel Déon, mais Edouard Michel. Déon, c'est le nom (raccourci) de sa mère. Tout se recoupe alors : Edouard alias Teddy, dans La Chambre de ton père, roman autobiographique. Ted, dans Un Souvenir... Des pistes s'éclairent, en brouillant d'autres. L'histoire n'est pas terminée. Ce qui devait être un secret de Polichinel dans les miliex littéraires parisiens était à mes yeux un secret inconcevable. Déon n'est pas Déon, quel vertige pour moi qui pensait le connaître si bien. Quel plaisir également, surtout et enfin, d'être à nouveau surpris.

Monday, November 06, 2006

Déçu et en colère

Je jette l'éponge page 340. 50 avant la fin. Tant pis pour Tillinac et surtout pour moi.
Bah, ça arrive. "Je nous revois..." radote, tourne en rond, et ne se résoud jamais. 390 pages pour ça, ça laisse le goût de l'erreur. Je suis trop loin de "En désespoir de causes" ou même de "L'été anglais".
Pour bien finir j'ai lu le dernier paragraphe et oui, vraiment, il valait mieux en rester là, depuis un moment même.
J'ai aimé le style, comme d'habitude avec Tillinac, mais même le style eut bientôt l'air de s'ennuyer.
Je n'aime pas ça du tout. C'est un sentiment de colère. Je lui en veux, oui, un peu, à Tillinac, de s'être laissé porter par une veine redondante inutile. Ca va bien, ses histoires d'amour froissées de quinqua qui jouent aux ados. Il fallait continuer, pousser plus loin, arriver, même nulle part, tout plutôt que ce lambinage. On m'annonçait dès la première phrase du 4ème de couverture la montée et la chute d'un grand patron. Page 340 : toujours pas l'ombre d'une chute. Ca sent le foutage de gueule, le remplissage à sec. Colère, vraiment. Je lis mes livres comme je passe mes soirées : entre amis. Confiant dans la surprise, rassuré d'être étonné. Alors quand vos meilleurs potes vous lâchent en même temps qu'ils se traînent de page en page, c'est dur.
J'ai du coup attaqué les cours de littérature anglaise que Borges a donné entre 1966 et 1967. C'est prenant, mais ce n'est pas un roman. Un roman me manque maintenant. Les Bienveillantes, peut-être ? Mon exemplaire est un cadeau, en plus. Mais ses 900 pages me terrifient. Je n'en serai jamais venu à bout à Noël. Je n'ai pas non plus envie d'abandonner un autre roman tout de suite. Je relirais volontiers un Camus, Noces, mais je ne l'ai qu'en Pléiade (pardon), incompatible avec les transports en commun. Relire Dorian Gray ?
Borges : "Les intentions des auteurs sont moins importantes que les bonheurs de leur création".