Sunday, October 22, 2006

Journal d'un lecteur

La séparation est cruelle, quand on arrive à la fin d'un livre. J'ai terminé le Journal d'un lecteur, d'Alberto Manguel, hier, dans le train qui me conduisait de Saint-Lazare à Colombes.
Cela faisait quelques semaines que je le lisais. Par bribes, peu de pages à la fois, et le plus souvent dans les transports en commun. Je ne les prends pas souvent, ma lecture avançait peu. Et puis, il est question dans ce journal de livres que je n'ai pas lus, j'étais du coup un peu réticent à en achever la lecture. Ca ne me parlait pas plus que ça.
Mais Manguel est homme intelligent. Sa plume est riche sans ostentation, ce qui est la plus grande qualité chez un écrivain, de mon point de vue. Avancer avec lui de mois en mois et de livre en livre, retrouver avec lui une actualité jeune (son journal est parallèle au déclenchement de la seconde guerre du Golfe), partager l'écho de ses lectures sur son quotidien, témoigner ainsi du pudique amour, mais amour quand même, pour les titres choisis, et enfin réussir à m'intéresser à un livre de Goethe, voici qui a insidieusement créé entre Alberto et moi une connivence aux reflets amicaux. Oui, c'est un rapport très proche de l'amitié qui s'est noué entre les deux lecteurs. Je retrouvais Alberto dans l'intimité de ses lectures parce qu'il m'y accueillait chaleureusement, en toute affection et en pleine confiance. Il m'invitait chez lui, dans cette maison du sud de la France qu'il apprécie tant. Ou bien il m'envoyait des cartes postales des différents pays où il était invité pour des conférences qui nourrissaient le nécessaire regret de quitter, pour un temps, sa bibliothèque. Vraiment, je me suis senti chez lui comme en vacances, protégé de la pluie fine, goûtant silencieusement le soleil, bercé du murmure des pages dans la cuisine appaisée, encore le meilleur endroit pour lire. Aberto et moi sommes devenus amis et, je le cite citant Machado de Assis, Borgès et Descartes : "la page de titre d'un livre devrait comporter les deux noms de l'auteur et du lecteur, puisque tous deux en partagent la paternité." J'y vois davantage les noms gravés sur un arbre par deux jeunes camarades qui ne se quitteront plus, d'autant moins si la distance les sépare, mais l'idée reste la même. Alberto écrit des choses simples qui me font réflechir sur mon travail. Il est une oreille attentive et compréhensive. Grâce à lui j'ai désormais envie de lire Machado, mais aussi Sei Shônagon et Margaret Atwood.
J'ai annoté quelques pages (136, 146, 164, 173, 185), en ai lues à Franck ou à Julie comme on rapporte le trait d'humour ou de génie d'un copain avec qui l'on vient de passer un bon moment. J'aime beaucoup parler de mes amis. Mais voilà : le livre est désormais terminé. Je sais que j'y reviendrai, et que je lirai Alberto ailleurs encore. Je nous prépare de belles heures fraternelles. Le moment de la dernière page, de la dernière ligne, celui-ci est triste. C'est une sensation physique douloureuse qui fait monter des sanglots éteints.

Friday, October 13, 2006

Je bois la tasse

Ainsi, probablement, va l'écriture. Hier mon hurloir me renvoyait une chaleur bienveillante. Le texte se tenait à peu près, certains passages étaient honnêtes.
Et puis je relis aujourd'hui et je trouve ça naze. Je trouve ça gamin, je trouve que certains passages entiers manquent de maturité, je trouve ça gonflé aux hormones, artificiellement mûri, enfin bref.
Peut-être la faute à mes lectures. Ecrire après Tillinac, c'est complexe. Il prend le temps d'un chapitre entier pour un personnage alors que je me précipite sur un paragraphe et c'est plié. 150 pages et l'action commence à peine, contre 15 de mes feuilles et tout est déjà presque dit.
Déon le résume dans "Jeu de miroir" : pour écrire il faut avoir lu, mais lire empêche d'écrire car on voudrait faire aussi bien sans pouvoir, nous semble-t-il, y parvenir.
Je ne bosserai donc probablement pas sur le texte aujourd'hui. Tout ses défauts se percutent, je suis très gêné par ce que je lis.

Extrait

Susan était splendide. Véritablement magnifique. Ses cheveux gris qu'elle laissait pousser sans complexe étaient la preuve d'une acceptation d'elle-même qui relevait du sacrifice, voire de l'abnégation. Elle niait toute coquetterie, qui existe encore tant chez les femmes de son âge. Soixante ans et coquette, ça ne rimait à rien, pour Henri. Une femme qui dégageait du charme, c'était d'abord une femme en pleine possession d'elle-même, de son corps, et des bonheurs que son âge lui apportait. Une femme qui laissait venir le temps, les rides, les peines, les désirs. Le meilleur moyen qu'ait un être humain d'être attirant était de saluer chaque jour comme une joie. L'attirance est une leçon de vie, une offrande faite à l'autre de ce qu'il n'a pas. L'âge ne fait rien à l'affaire. On souffre à cinq, vingt-cinq et soixante-quinze ans. On est beau aux mêmes âges. Refuser de recevoir ce que chaque année nous offrait sur un plateau de soleil, quelle connerie. Cela n'empêchait en rien de faire face, en cas de problème. Et des problèmes, il y en avait tous les jours. Question d'habitude, une habitude qui, il fallait le reconnaître, venait de plus en plus facilement. Non, elle était tout sauf coquette. Mais elle ne se négligeait pas pour autant. Elle semblait pouvoir porter n'importe quoi avec une élégance unique. Sa couleur était le noir, mais vous la croisiez avec un long châle bariolé un soir d'automne et vous ne reteniez d'elle qu'une volée de couleurs. L'élégance est le contraire de la coquetterie.
A ce titre, et parce qu'elle était habitée d'une dimension impénétrable qui conférait à chacun de ses gestes, de ses mots, une richesse humaine qui semblait la dépasser, Susan était une reine.

Le paradoxe Tillinac

Paradoxe, parce que Denis Tillinac diffuse à la fois une résignation mélancolique sur la fin de la civilisation et un enthousiasme limite adolescent.
Dans "Je nous revois..." qui me sert de cahier de vacances (et bien plus) pour cette expérience d'écriture en résidence pornichétine, l'alchimie se vérifie encore. Si ses personnages sont des industriels, artistes ou diplomates revenus de tout, si les femmes sont des drames somptueux, le narrateur n'en demeure pas moins capable de s'enflammer pour un sourire, de s'envoler pour Vienne rejoindre un amour auquel, pourtant, il ne croit plus, de saluer un peintre de ses amis alors que "Picasso selon lui avait mis à mort toute l'histoire de l'art en un carambolage génial" (p. 105).
Ce que j'ai vu de l'homme Tillinac relève du même, pour ce que j'en devine. Un type à l'abord peu engageant, front dur, regard d'acier, carrure de taureau, voix de fumeur qui en a fumé d'autres et des bien pires. Et pourtant : le même homme s'est enthousiasmé quand avec une poignée d'amis nous lui avons présenté un projet de magazine culturel gratuit. Tillinac, patron de la Table Ronde, qui a pris une bonne heure de son temps à nous écouter ("Je n'ai qu'une demi heure, ça ira ?"), et à se projeter, je veux le croire, dans une idée plus grosse que nous qui nous avalerait tout cru.
Voilà ce qui m'accompagne cette semaine et fournit un angle riche à mon travail. Et puis ceci : ce type capable d'ironie, voire de cynisme, s'en empêche, surtout dans ses livres. Un trait d'humour doit être fin, élégant, même avec des mots lourds. Le cynisme lui semble être une impolitesse dont il se garde. J'y vois une grande générosité. Alors même qu'il serait parfaitement capable de glisser davantage d'humour dans son roman, Tillinac assume le premier degré. C'est courageux, et la preuve d'une humanité qui est une leçon. Puissent désormais mes personnages s'autoriser ce premier degré qui les entraîne au bout d'eux-mêmes, et délivrer une humanité aussi chaleureuse. Mes personnages, donc moi. Cela m'apparaît soudain comme ma véritable mission.

Thursday, October 12, 2006

Size matters

Jeudi. Ce matin m'est revenu un doute récurrent à mes travaux d'écriture : alors que j'ai l'impression d'en être à la moitié du texte, j'accumule à peine une vingtaine de pages. 20 pages Word, format A4, qui feront 2,5 fois plus de pages imprimées, mais quand même.
Je vais continuer à avancer, et je verrai une fois la dernière scène posée s'il manque des éléments d'ambiance qui pourraient venir gonfler le tout. Le souci reste qu'une ambiance ne doit pas être décrite formellement, elle doit être suggérée, flotter sur le texte de façon diffuse mais présente. L'énoncer c'est la casser.

Wednesday, October 11, 2006

Objectif mars

Mercredi. La semaine dernière j'ai dîné avec Nico, qui a maquetté intégralement "La Fille de l'aventurier".
Ca faisait un moment que je ne l'avais pas vu. Les semaines qui séparent accroissent le plaisir des retrouvailles. On a rattrapé le temps. Vacances. Ecosse. Les filles. Le boulot. Les oeufs au foie gras du Potager, à Abesses, sont une merveille.
Selon Nico, le recueil des "Histoires jamais entendues dans un pub en Irlande" sortirait volontiers pour la Saint Patrick, le 17 mars prochain. Marché conclu. De toute façon c'est trop court pour Noël et ce sera avec Nico ou rien.
Prévoyons un séjour en Irlande en janvier pour enterriner, et pour bosser dessus.

Tuesday, October 10, 2006

Pas d'heure

Ce qui est positif, c'est que je réussis à m'affranchir du diktat des heures. Après une journée à peine croyable, plein soleil, déjeuner dehors et T-shirt sur la plage, je me suis attelé à la tâche en fin d'après-midi. Je retrouve goût au travail. Parti avec un cadre, un objectif, je ne l'atteins qu'en m'en détâchant. Je voulais bosser 7 à 8 heures pas jour, de 9 à 12 puis de 14 à 16, voeu pieux. Sans heure, j'avance mieux et moins complexé.
Quignard : la liberté ne signifie rien. Seule la libération a un sens.

22h24 : à table.

Un extrait

"Il se demandait si elle aimait le poisson. A cette heure, c'était un peu tard. Il n'en aurait de frais, le meilleur, que le matin. Chez son ami Tony il acheta un bon kilo de tomates, pour le gaspacho. Ca ne la nourrirait pas ce soir. L'emmener au restaurant ? Ce serait l'occasion de discuter, de mieux la connaître, sans trop insister, dans un contexte rassurant. Il était pourtant convaincu que le cadre le plus propice à des confidences était encore chez lui. La cuisine surtout, l'éclairage voilé du plafonnier sur les bois sombres des meubles, le crépi passé, la chaleur brune des tomettes au sol, le bouillon épais d'une eau de cuisson, il s'y sentait bien et quelques femmes avaient apprécié. Depuis sa séparation avec Mathilde elles n'avaient pas été si nombreuses à franchir ce seuil. Mais aucune n'était repartie foncièrement fâchée. Du moins voulait-il encore le croire, et ma foi il n'avait jamais encore reçu de plainte. Au contraire, toutes avaient apprécié, à différents degrés, le calme rassérénant de la pièce, la lumière battue, le parfum, sel, sable et agrumes. Hannah ne voulait pas faire l'amour ailleurs que dans la cuisine."

Journal de Porn' - Jour 2

Mieux dormi que la nuit dernière. Couché à 2 heures après une dernière heure de travail et une demi de lecture. Je me suis arrêté de relire juste avant les passages écrits le jour même. Je n'avais pas encore assez de recul pour les juger convenablement.
Je me suis endormi assez peu content de ce que j'ai fait. Au matin, un goût brouillon dans la bouche. J'ai réflechi au manque de plaisir pris hier à accomplir un labeur qui n'avait de satisfaisant que le respect d'une technique. J'y ai réflechi en faisant quelques courses, puis une promenade sur la plage, il était temps. Ca éclaircit les idées. Il faut que j'abandonne au plus tôt le côté disciplinaire de mon travail pour libérer le plaisir d'écrire, et d'écrire bien. Du mieux que je peux, au moins. Quitte à revenir dessus plus tard, trouver ça chiant, et refaire.
De retour, j'ai repris l'exercice, avec l'idée que j'allais tout effacer. Je ne voulais pas conserver un sentiment bancal. En relisant à haute voix ce que j'ai écrit hier soir et dans l'après-midi, j'ai finalement trouvé ça pas si mal. Il est très difficile de juger mon texte maintenant, déjà. La lecture à haute voix nous a réconcilié. Jusqu'à la prochaine lecture ? Profitons pour l'instant de ce regain d'intérêt. Et puis, à table !

Monday, October 09, 2006

Pornichet jour 1

En fait, Pornichet jour X, puisqu'il y a déjà eu un Belle-Île jour X-1, et que le véritable jour 1 eut lieu à Banalbufar, petit village majorquain.
Arrivé hier soir avec Gilles. Objectif : 1 semaine d'écriture de ce qui se nomme pour l'instant "En compagnie des hommes". J'ai pris ces jours de vacances pour ne faire que ça. Lire aussi, mais ça fait partie du boulot. Mon cahier de vacances est "Je nous revois..." de Tillinac. Le style du patron de la Table Ronde me scie toujours. Première phrase : "Via Giullia. Soleil d'automne sur les murs ocres des palais." déjà sue par coeur.
Quelques uns m'ont fait l'honneur de lire les quelques premières pages. Merci, j'en ai pris bonne note. Je me suis attelé à la tâche dès ce matin. Je sens l'intensité du travail et la plongée au coeur de cette expérience croître sourdement. Je m'en réjouis.

Il y avait déjà un début

Sur histoires.blogspot.com vous trouverez le journal d'écriture de mon précédent roman, ainsi que quelques textes réunis sous la bannière des "Histoires jamais entendues dans un pub en Irlande".

Ce nouveau blog a plusieurs raisons d'être :
- Je suis en pleine rédaction d'un autre roman, et je souhaite tracer ici le journal de son écriture.
- Je souhaite publier pour la St Patrick (17 mars 2007) le recueil des Histoires jamais entendues... mentionnées ci-dessus, et fédérer ici quelques avis ou commentaires.
- J'ai d'autres projets d'écriture en cours et veut recenser dans ces lignes leurs doutes et leurs espoirs.
- j'ai paumé les codes d'accès à histoires.blogspot.com.

Cheers, mates.